Interstellar

En attendant la sortie du troisième volet du Hobbit de sir Peter Jackson ainsi que celle du prochain Hunger Games, l'actualité ciné pour les amateurs de SF se résume pour le moment à cet Interstellar dont l'affiche, du meilleur aloi, mérite à elle seule qu'ils s'y intéressent de près. A vrai dire, la bande-annonce aussi... et c'est après l'avoir vue que j'ai décidé, il y a quelques semaines, de donner sa chance à ce film.
Résumé : 
Dans la première moitié du XXIème siècle, la Terre est désormais un monde pollué où les tempêtes de poussière empoisonnent peu à peu les cultures agricoles. Il n'y a plus de blé, le gombo est en train de périr et seul le maïs parvient encore à survivre sur un sol devenu infertile. Pour les gens, qui tentent encore de sauvegarder leur mode de vie, l'avenir est presque toujours tracé : l'humanité a besoin d'agriculteurs et non plus d'ingénieurs. Cooper a été pilote à la NASA et, dix ans après la fermeture de l'agence spatiale, il végète à la ferme familiale. Son fils est destiné à reprendre celle-ci alors qu'il aurait eu pour lui d'autres ambitions. Sa fille, elle, pourra peut-être faire autre chose... si sa vie n'était pas perturbée par une présence qui habite les murs de sa chambre, un fantôme qui lui enverrait des messages en projetant ses livres par terre. Partant un jour en exploration sur la foi de ces messages, Cooper et elle découvrent que la NASA n'a pas baissé les armes. Un trou de ver à proximité de Saturne témoigne de la présence d'entités supérieures qui veulent peut-être laisser une chance nouvelle à l'humanité... d'autant plus que de l'autre côté du portail, se trouvent des mondes peut-être habitables. Pour Cooper, qui n'a jamais cessé de rêver d'étoiles, c'est la chance de toute une vie...mais pour sa fille, c'est le risque de le voir partir pour ne jamais plus revenir. Cooper découvrira-t-il un monde nouveau où l'espèce humaine pourra reprendre le cours de son existence ? Devra-t-il sacrifier sa vie à cet objectif ?
On dira d'emblée qu'Interstellar louche bien volontiers, voire même pas qu'un peu, vers le 2001 de Kubrick dont il reprend quelques-uns des aspects graphiques. Ainsi, les robots affectent-ils la forme - quelque peu déformable, il est vrai - des monolithes et le passage du vaisseau de Cooper dans le trou de ver, et son équipée à l'intérieur de la singularité d'un trou noir, sont autant de réminiscences du voyage final de Dave Bowman. Au-delà de cela, les lecteurs attentifs des oeuvres d'Arthur C. Clarke reconnaîtront des citations de son propre 2001 - dans l'oeuvre initiale, Dave Bowman part en voyage non vers Jupiter mais bel et bien vers Saturne - et de sa suite 3001 - où le corps inanimé de Frank Poole est redécouvert puis ranimé mille ans après sa disparition, voire même à son fameux Rendez-vous avec Rama et à cet étonnant vaisseau-monde cylindrique illustré dans une vidéo présentée jadis dans la première itération de ma rubrique vidéo ! De toute évidence, Christopher Nolan a lu ses classiques ou, à tout le moins, des gens dans son équipe l'ont fait et si l'esthétique poussiéreuse et déchue de la Terre polluée sacrifie aux répugnantes manies contemporaines, celle du vaisseau et des nouveaux mondes renvoie bien plus volontiers à d'autres choix, plus positifs et donc, il est vrai, plus difficiles à concevoir dans une étrangeté crédible. Ici, le pari est tenu et les deux mondes explorés par Cooper sont crédibles. Quand à son vaisseau, écrin d'une parcelle d'humanité perdue dans l'espace, il est à la fois beau et fragile...

La construction de l'intrigue elle-même renvoie bien volontiers à celles de la SF de l'âge d'or, celle où les auteurs et leurs éditeurs ne croyaient pas encore qu'il soit nécessaire de concevoir des mondes pourrissants pour vendre leurs produits. La Terre ne va pas bien dans ce film, et la situation de l'équipe de Cooper n'est guère reluisante non plus. Pourtant, il s'exhale de ce film une croyance déterminée dans la capacité de l'être humain à faire face aux problèmes et à les résoudre, d'une façon ou d'une autre - et il est impossible, pour le spectateur avisé, de ne pas prendre les témoignages filmés diffusés au début du film pour ce qu'ils sont, à savoir des documentaires tournés après la fin de cette ère de déchéance. On repense à nouveau à l'oeuvre d'Arthur C. Clarke et en particulier à cette nouvelle, dont le nom m'échappe, où l'on assiste au départ des derniers êtres humains de la Terre, qui sera désormais laissée en jachère, monde-jardin dont le rôle dans l'histoire de l'humanité a été rempli et qui a bien mérité maintenant le temps de son repos après avoir conduit avec succès à l'âge adulte sa turbulente espèce intelligente. S'agit-il là de l'intention de Nolan ? On ne le saura pas d'une façon définitive car le film a l'intelligence de laisser le devenir de l'espèce humaine tout à fait ouvert.

OEuvre positiviste en ces temps incertains, ce film possède malgré tout quelques défauts. Sa longueur, pour commencer : pas loin de trois heures... sachant par ailleurs que certaines séquences auraient pu, je pense, être raccourcies. On regrettera aussi les abondants développements autour des sentiments, par moments présentés dans ce film comme le propre de notre humanité : au-delà du fait que l'éthologie met jour par jour en évidence la capacité de la conscience animale à éprouver des sentiments très proches des notres, les choix faits par le scénario viennent eux-mêmes à contre-temps de ce parti-pris sirupeux. Ainsi, certains personnages finissent par se montrer cruels par compassion pour eux-mêmes ou pour leurs morts. A l'inverse, un autre personnage - réminiscence peut-être du fameux Hari Seldon dans Fondation ? - réalise un choix terrible en toute connaissance de cause, mais en payant un prix humain très élevé. L'humanité, en nous, ne se niche pas dans nos sentiments mais dans les choix que nous faisons. En peu de mots, ce n'est pas aimer qui nous rend humains, mais bel et bien nos actes ; et si certains d'entre eux sont accomplis sous l'effet de nos sentiments, les meilleurs le sont toujours par le sens du devoir. Leçon terrible mais exaltante que notre époque mérite bel et bien de méditer longtemps...

Commentaires

Guillmot a dit…
Pourquoi tout le monde parle de Saturne pour le bouquin de Clarke ? Alors que c'est faux, le monolithe est à la surface de Japet, une lune de Saturne, mais ne se situe pas en orbite de Saturne ! Il y a un souci majeur aussi dans la comparaison entre Nolan et Clarke : le roman de Clarke n'est pas l'oeuvre originelle mais découle de la collaboration cinématographique Kubrick/Clarke (1968). On pourrait même dire que le roman dérive du scénario du film, et non l'inverse. En fait si on cherche l'oeuvre originelle il faudrait comparer à la nouvelle « La sentinelle » de Clarke (1951). Après Jupiter est repris par Clarke, mais dès la suite de son roman, en 1982, lorsqu'il accorde à la géante gazeuse un rôle très particulier (d'ailleurs à ce moment-là, la perturbation est située à un point de Lagrange entre Io et Jupiter !). Mais franchement la saga de Clarke est un produit dérivé de sa collaboration avec Kubrick et il faut se méfier de sa comparaison avec Nolan.

A la fin du film les survivants de la Terre voyagent dans un cylindre O'Neill, mais sachant que ce physicien les a décrit dans son essai en 1976 soit 3 ans après Clarke là je suis d'accord parler de Rama comme point d'origine du concept n'est pas totalement faux.

D'ailleurs haters gonna hate ma citation qui suit, mais sur ce point Interstellar est plus proche du "Papillon des Etoiles" de Werber que de Clarke ! Pour une fois que Werber sert à quelque chose, personne ne songe à comparer son roman contemporain du premier projet Interstellar de Spielberg. Coïncidence ? Je ne crois pas (lol) ;-)
Anudar a dit…
Notons juste que je parlais, dans le vague, de "voyage non vers Jupiter mais bel et bien vers Saturne" pour l'intrigue du "2001" de Clarke. Ma connaissance de la génèse du livre repose sur des souvenirs anciens (de mémoire, la préface de "3001" lu en 1997) et s'ils sont fiables, au départ Kubrick et Clarke avaient voulu travailler ensemble sur une adaptation/relecture de "La Sentinelle". Quelques divergences entre eux expliquent cette histoire de Saturne ou de Jupiter... sachant qu'en effet, lors de l'écriture de "2010" Clarke oublie Saturne pour de bon, tout à sa hâte d'explorer je pense la biosphère d'Europe et de changer Jupiter en étoile.

N'ayant jamais lu de Werber depuis "Le Père de nos Pères", je m'en tiendrai à cette information ;)
Lorhkan a dit…
Je crois que la comparaison avec Clarke a un sens, en tout cas pour moi, plus général.
C'est l'utilisation d'une base scientifique pour partir très loin dans la prospective qui fait naître un fort sentiment de sense of wonder très "clarkien". Il est là le point commun essentiel entre les oeuvres de Clarke (pas seulement "2001") et "Interstellar". ;)
Anudar a dit…
Peut-être aurais-je dû parler de "réminiscences" plutôt que de "citations" ?