Django Unchained

Je n'ai pas encore eu l'occasion de parler d'un film de Tarantino ici, le dernier sorti au cinéma en date (Inglourious Basterds) étant plus âgé que ce blog. A nouveau, le cinéphile devenu cinéaste nous propose ici une fiction historique, cette fois-ci sur le mode western spaghetti...
Résumé : 
Deux ans avant le début de la Guerre de Sécession, quelque part au Texas, Django est un homme noir que ses maîtres ont vendu à des négriers parce qu'il a osé se marier avec une esclave de maison. Sur sa route, il croise le docteur King Schultz, un ex-dentiste allemand reconverti dans le dangereux métier de chasseur de primes, qui l'achète parce qu'il est le seul à pouvoir identifier trois desperados qu'il veut ramener morts à la justice... Mais Django se révèle aussi doué à la gâchette que déterminé à retrouver sa femme et Schultz finit par se joindre à sa quête. Pour sauver Broomhilda, il faudra se rendre au coeur de Candyland, l'immense plantation de Calvin Candie, afin de la racheter, sous couvert d'un intérêt de Schultz pour la lutte mandingue, sans que le sadique propriétaire des lieux ne se rende compte que Django vient pour un tout autre but que celui qu'il prétend. L'intelligence de Schultz pourra-t-elle suffire à réaliser l'impossible ?
Django, c'est un homme intelligent qui a eu le malheur d'être né noir à l'époque où le "nègre" était considéré comme moins qu'un être humain, c'est-à-dire, comme un animal voire même un meuble. Même sachant qu'il est libre, son intelligence et sa volonté sont sans cesse remises en doute par les personnages des négriers - voire même par ceux des esclaves. La perversité du système négrier apparaît très bien rendue ici, sous deux aspects fort différents mais néanmoins plus que complémentaires : à l'extrême violence physique de certaines scènes (Django réchappant par exemple à rien de moins qu'une castration au fer rouge) répond une violence psychologique tout aussi extrême imposée par une véritable éducation négative castrant la volonté des esclaves. Violence psychologique ayant, à son tour, son effet néfaste sur le fonctionnement des maîtres du système : le personnage de Calvin Candie, exquis portrait d'ordure pénétrée d'une supériorité imaginaire, n'est pas aussi maître de lui-même qu'il y paraît à première vue. Le personnage semble tout aussi dégénéré que le pervers majordome noir qui entretient son manoir puisqu'il se laisser aller tout soudain à une véritable crise de haine, une effrayante démonstration qu'annonçaient pourtant les familiarités auxquelles il se livre avec sa propre soeur : faut-il y voir une allusion à une éventuelle tradition d'inceste dans la dynastie Candie et donc à une coupable consanguinité ?

On connaît le goût de Tarantino pour les atrocités psychologiques, du genre de celles qui déchaînent la folie meurtrière. Django est un homme seul, marqué (à tous les sens du terme) par un destin qu'il rejette. Il y a chez lui une forme de grandeur et une solidité indéniable, à laquelle Schultz finit par se rallier : au Far West, où n'importe qui peut devenir auxiliaire de justice, et où les repris de la même justice peuvent échapper (un temps au moins) à celle-ci par la magie d'un simple changement de nom, chacun joue en fait un rôle de théâtre et Django n'est pas long à le comprendre. Django n'est pourtant pas un héros émule de Siegfried : il s'agit d'un gars ordinaire qui craint pour sa vie et avant tout pour sa femme et qui, de ce fait, en arrive à faire des choses extraordinaires. La fin du film le voit transfiguré en figure de la vengeance, véritable Némésis du système négrier dont toutes les parties - depuis les blancs qui en détiennent le pouvoir nominatif jusqu'à ses exécutants noirs les plus zélés - se voient éliminées : voilà une thématique me semblant commune chez Tarantino, le colt se substituant ici aux sabres de Kill Bill. Véritable ange de la vengeance et de la mort, Django reste cependant lui-même prisonnier de son époque et c'est peut-être pour cela que les autres personnages noirs ne sont ni ses alliés, ni ses amis. La question soulevée par le dégueulasse Calvin Candie reste d'ailleurs posée : pourquoi les esclaves ne se révoltent-ils pas en masse alors qu'ils disposent en réalité de la vie de leurs maîtres ?

Ce n'est que sur un sourire entr'aperçu aux lèvres d'un compagnon de déportation que l'on comprend, peut-être, une dernière allusion. Là où Schultz, au début du film, donne les clés de l'évasion aux compagnons de captivité de Django, celui-ci se contente de laisser ouverte la porte de leur cage et de les laisser faire le choix évident. En 1858, les Etats-Unis n'ont pas encore entamé la longue route vers l'égalité mais l'esclavage lui-même est sur le point d'être aboli, même s'il y faudra une véritable guerre civile. Django n'annonce pas la Guerre de Sécession. Ce qu'il annonce, peut-être, c'est un monde différent : celui où la liberté de principe, et pour chacun, est une évidence.

Commentaires

Guillmot a dit…
Depuis Inglourious Basterds je suis quand même très nostalgique des anciens Tarantino. Surtout Pulp Fiction.
Vert a dit…
Il faut vraiment que je vois Inglorious Basterds pour ma part... (mais moi aussi je préférait les Tarantino plus anciens à vrai dire...)
Anudar a dit…
Je n'ai commencé à m'intéresser à Tarantino qu'à partir de "Kill Bill". J'ai vu "Pulp Fiction" mais ça ne m'a pas plus branché que ça.
Anudar a dit…
J'ai bien aimé "Inglourious Basterds"... à noter que l'acteur qui incarne l'affreux colonel SS de ce film intervient dans celui-ci, dans le rôle du docteur Schultz.
Efelle a dit…
Je trouve que le côté bavard est moins gratuit (Reservoir Dogs) ou pénible (Boulevard de la Mort) dans ces deux derniers films. Là, les dialogues sont tout aussi présents mais plus travaillés, porteurs de sens ou d'ambiances.
Anudar a dit…
Si tu veux dire que dans "Inglourious Basterds" et "Django Unchained" les dialogues sont ciselés avec beaucoup de soin, je suis d'accord avec toi et à 100 %. C'est de la belle ouvrage.