Gandahar : Les Années Lumière

Dans le cadre d'une vidéo SF du mois, j'ai eu l'occasion de parler de René Laloux, qui s'est illustré à travers plusieurs films d'animation de SF. Après l'extraordinaire Les Maîtres du Temps, une adaptation de L'Orphelin de Perdide par Stefan Wul (le regretté Moebius en assurait le dessin), Laloux nous a offert une adaptation d'un roman de Jean-Pierre Andrevon, à savoir, Les Hommes-machines contre Gandahar. Le roman d'Andrevon a connu depuis maintes suites, formant un véritable Cycle de Gandahar dont plusieurs éléments sont à destination du jeune public. Dans le cadre du Festival SF de Lyon, j'ai pu voir enfin au cinéma ce film que je connais depuis l'enfance.
Résumé :
Gandahar, c'est un royaume paisible, établi sur une planète accueillante. La reine Ambisextra, qu'assiste un Conseil Féminin, veille sur le destin d'une nation tranquille ayant oublié l'art de la guerre, grâce à ses légions d'oiseaux-miroirs, des volatiles qui transmettent à Jasper, la capitale, toutes les images des incidents qui viendraient troubler la sérénité du royaume. Une menace pèse pourtant sur Gandahar : sur le rivage de l'Océan Excentrique, une force inconnue élimine les oiseaux-miroirs. La reine dépêche Sylvin Lanvère, un des Servants, afin de savoir quel est l'ennemi qui en veut à la paix de Gandahar. Quelques péripéties vont alors mettre Sylvin sur le chemin des hommes-machines : des mécaniques animées par une seule volonté, celle de pétrifier les Gandahariens, qu'ils font disparaître ensuite à travers une porte maléfique ! Sylvin, par chance, va rencontrer bien des alliés sur sa route...
Comme il l'avait déjà fait dans son adaptation des Maîtres du Temps, Laloux s'est permis de modifier un peu le schéma du livre d'Andrevon. Et je dois dire qu'à nouveau, cette modification n'est pas sans augmenter la puissance de l'oeuvre. Là où Andrevon se contentait de faire du Métamorphe sénile un "simple" dictateur fasciné par les cultures humaines militaristes et porté sur les défilés militaires (au pas de l'oie ?), Laloux transforme l'antagoniste en véritable ennemi pour Sylvin. Dans le dessin animé, le Métamorphe devenu sénile ne considère pas Gandahar comme une terre à coloniser. Au contraire, ce sont les Gandahariens qui l'intéressent - ou plutôt, leur force vitale. Des Gandahariens que ses hommes-machines viennent récolter pour son compte, afin de soutenir ses forces déclinantes. Ici, l'alliance que Sylvin forme avec le Métamorphe plus jeune joue donc un rôle d'autant plus crucial : ce ne sont pas de grands principes qui poussent le monstre à demander sa propre élimination dans le futur lointain où il deviendra sénile, c'est plutôt une envie de s'épargner la déchéance.

René Laloux, connu par ailleurs pour dénoncer la dictature de la "normalisation" et ses capacités de déshumanisation, complète ici sa panoplie politique par une fable écologique. Aux paysages bucoliques de Gandahar s'opposent alors les cieux verdâtres et pollués d'une planète industrialisée jusqu'à l'excès par la folie d'un Métamorphe prêt à tout pour survivre au-delà de son temps. A plusieurs niveaux, le combat de Sylvin ne se limite pas à sauver Gandahar dans le présent, car c'est dans le futur que "Gandahar a été détruit" - ou plutôt, que les habitants de Gandahar se sont vus transformés, après utilisation, en déchets d'une civilisation industrielle devenue folle. Image saisissante de cadavres fossilisés, rejetés en masse par le Métamorphe du futur comme autant de déchets, dont la puissance évocatrice ne sera jamais un cliché. En ce sens, le Métamorphe est un monstre bien plus terrifiant que celui qui apparaissait dans Les Maîtres du Temps : celui-ci se contentait de transformer les individus en sbires interchangeables. Monstre d'autant plus terrifiant que ses motivations initiales apparaissent tout à fait humaines : "je n'ai pas vieilli", comme il l'affirme à Sylvin lors de leur dernière conversation. C'est en fait toute la séquence "future" de ce film qui en fait l'intérêt, par opposition à un Gandahar trop beau, trop propre, trop parfait, et qui ne l'est en fait pas du tout puisque les Transformés, indispensables alliés de Sylvin dans sa lutte contre le Métamorphe âgé, en sont exclus et relégués dans un désert...

Même si je lui préfère Les Maîtres du Temps, et ce pour des raisons toutes personnelles, le Gandahar de René Laloux m'apparaît sans problème comme une oeuvre cruciale et lisible à plusieurs niveaux. Bien sûr, l'animation a un peu vieilli, et l'on pourra ironiser sur le fait que ce film, anti-militariste, anti-pensée unique et tout ce que l'on veut, a été réalisé en partie en Corée du Nord. On pourra aussi lui reprocher de ne pas beaucoup montrer la nuance de gris des Gandahariens "ordinaires". Il n'empêche que le propos en est à la fois progressiste et optimiste : c'est donc une oeuvre précieuse, à faire regarder sans restriction aux nihilistes de tout poil. Jusqu'à ce qu'ils rédigent leur autocritique.

Commentaires

Efelle a dit…
Le dessin animé allège en effet le côté utopique du roman d'Andrevon. Un très bon film.
Anudar a dit…
Chez Andrevon, cela faisait presque naïf, à certains aspects. L'adaptation améliore bien la chose.