Moonrise Kingdom

La bande-annonce de ce film, repérée il y a quelques semaines, m'avait laissé à penser qu'il s'agit d'une oeuvre tout à fait décalée, voire même peut-être déjantée... Je m'y suis donc précipité le jour même de la sortie.
Résumé :
Une île au large des côtes de la Nouvelle-Angleterre, à la fin de l'Eté 1965. Au camp Ivanhoé, un scout s'est fait la malle : le jeune Sam, très peu populaire dans la petite troupe des scouts kaki dirigée par Ward, a préparé sa fugue avec le plus grand soin. A l'autre bout de l'île, Suzy, jeune fille "à problèmes" qui déteste sa famille, a fait ses valises et s'enfuit dans la nature. Ce que personne ne sait, c'est que les deux jeunes adolescents se connaissent et s'échangent depuis près d'un an une correspondance passionnée. Alors que s'annonce la tempête du siècle, qui, de Ward, du policier Sharp, de la petite troupe de scouts et des services sociaux, pourra remettre la main sur Sam et Suzy en premier ?
Comme souvent avec les films qui me convainquent, il y a ici une image très particulière, en tons chauds et et francs qui m'évoquent tout à fait les films des années 60. Soit l'équipe s'est arrangée pour imiter la façon dont les films étaient tournés à l'époque, soit elle a utilisé du matériel vieux d'une cinquantaine d'années - mais dans tout les cas, l'effet y est : on s'y croit. Et pas que parce que le choix de la décoration apparaît tout droit sorti des folles sixties - avec pour commencer le fameux électrophone qui serait presque un personnage à part entière dans ce film, avec son timbre lui aussi chaud et plein... C'est que l'histoire que l'on nous raconte ici est celle d'un monde où le Summer of Love est encore en germe. Les deux protagonistes sont encore bien jeunes pour que l'on imagine les voir y participer deux ans plus tard - mais pourtant, il y a dans leur aventure transgressive comme une composante prophétique, laquelle n'est pas sans convaincre, en fin de compte, les personnages ordinaires de se rallier à leur cause et à les aider à s'échapper une fois de plus.

Parlons un peu de ces deux protagonistes... Et d'abord de Suzy, "troubled child" avec laquelle ses parents si ordinaires ont tant de problèmes. Une jeune fille chez qui l'approche de l'âge adulte exacerbe une colère dirigée contre toutes les conventions. Suzy, c'est d'abord une façon de regarder les choses et le monde : sa première rencontre avec Sam, relatée en flashback, frappe à cause de l'intensité du regard qu'elle porte sur lui. Quant à sa première rencontre avec le spectateur, elle frappe encore : Suzy se promène presque tout le temps avec une paire de jumelles. Colère et regard : Suzy, gauchère, a envie, souvent, de tout envoyer promener. A commencer par ses parents qui ne la comprennent pas. En face d'elle, à l'intérieur de ses jumelles - c'est-à-dire, dans le monde réel, celui qui est à naître - il y a Sam, garçon à l'expression un peu étrange, indissociable de sa tenue de scout (bien qu'il ait démissionné avant le début du film) et tout à fait capable de concevoir un plan que les adultes eux-mêmes ne pourraient pas comprendre sans aide. Sam est lui aussi un "troubled child" : il est orphelin mais personne ne le sait, sa famille d'accueil le rejette et les services sociaux envisagent de l'envoyer dans un centre de redressement où il serait appelé à subir des électrochocs - voire peut-être même une lobotomie. Quoi de plus naturel, dans ces conditions, que ces deux-là se soient trouvés ?

Les conventions sociales (celles de l'époque et, en abyme, celles de la nôtre) sont ici sous le feu de la critique. Somme toute Sam et Suzy ne font rien de mal puisqu'ils se contentent de se planifier quelques jours de vacances en amoureux. Quelques jours achetés par quelques menus larcins. Et pourtant, c'est une impressionnante mission de recherche qui est lancée à leurs trousses. Mission de recherche où les scouts de la troupe, qui dans un premier temps sont hostiles à Sam et à son instabilité psychologique réelle ou supposée, n'hésitent pas à se munir d'armes improvisées - ou non. Mission de recherche dont l'enjeu n'est en fait pas de récupérer deux fugueurs mais bel et bien de les empêcher... de faire quoi, en fait ? De perturber la tranquillité d'une île où rien ne se passe ? La venue de la tempête vient sanctionner l'échec de la ligue des pères (et mères !) tranquilles : le vent qui se lève, c'est celui du monde à venir. Un monde plus semblable à celui décrit par les livres de Suzy (magnifiques couvertures de romans de SF jamais écrits, au passage : j'aurais adoré pouvoir lire The Girl from Jupiter d'Isaac Clarke !) qu'à celui qui les entoure. Telle est l'histoire qui nous est racontée dans Moonrise Kingdom, titre énigmatique dont le secret n'est dévoilé qu'à la toute fin : quelques jours de vacances peuvent suffire à changer une vie. Ou deux. Ou plus encore.

Lire aussi l'avis de Calenwen.

Commentaires

Efelle a dit…
Et de deux, après Calenwen, tu achèves de me convaincre de l'intérêt de ce nouveau film de Wes Anderson.
Vert a dit…
J'aime beaucoup ton avis ^^
J'ai adoré ce film, et j'ai très envie de le voir pour apprécier les petits détails (notamment les titres des romans des bouquins de Suzy, j'avais raté le Isaac Clarke tiens xD).

Bon par contre Suzy fait une bien piètre gauchère, vu que la première chose qu'elle fait avec ses ciseaux de gaucher, c'est les prendre de la main droite (quel drame pour un film d'avoir un défaut aussi énorme *siffle*)
Anudar a dit…
C'est un film qui laisse de très bon souvenirs.
Anudar a dit…
J'aime bien ton avis aussi, d'ailleurs je t'ai liée :P ...

Le coup des ciseaux de gaucher tenus de la main droite m'avait échappé, mais pas le livre imaginaire. En plus on le revoit dans le générique final. Tu l'as regardé jusqu'au bout ?
Vert a dit…
Oui j'ai revu les couvertures, mais avec tous les spectateurs pressés j'ai pas trop eu l'opportunité de les revoir correctement (heureusement le le bonus était plus à écouter qu'à voir ^^)