Spin

Robert Charles Wilson est un auteur avec lequel j'ai pendant longtemps eu du mal. Il faut dire que j'étais peut-être mal tombé, n'ayant commencé son oeuvre qu'à travers certains de ses romans décrits comme les moins bons (les glauquissimes BIOS et Le Vaisseau des Voyageurs en passant par Darwinia, lequel est l'un des rares livres qui me soit tombé des mains). Et puis, grâce à l'insistance de certains de mes confrères blogueurs, j'ai lu en fin de compte Les Chronolithes et surtout Blind Lake (prêté avec sympathie par l'ami Efelle), bonnes lectures qui  m'ont incité à voir plus loin). C'est chose faite avec cette ouverture de trilogie, ce Spin que l'ami Gromovar considère comme indispensable... 
Résumé : 
Tyler Dupree, un jeune garçon qui vit dans l'ombre des brillants jumeaux Jason et Diane Lawton, est un beau jour témoin de l'événement le plus inquiétant et le plus lourd de sens de toute l'Histoire de l'humanité : une nuit, les étoiles et la Lune disparaissent du ciel. Une force inconnue a en effet dressé un filtre entre la Terre et l'espace, un filtre à l'intérieur duquel le temps s'écoule au ralenti : quelques années ici, cinq cents millions là-bas... et si la Terre, pour un éventuel observateur extérieur, semblerait désormais immuable, c'est le Système Solaire qui se met à vieillir en accéléré pour l'espèce humaine. En quarante ans, le Soleil lui-même, devenu géante rouge, aura dévoré l'orbite de la Terre. Alors, au fil des années, certains se laissent aller en attendant la fin du monde... mais d'autres, au contraire, tentent encore et toujours de comprendre le Spin, et peut-être de sauver l'espèce humaine. Jason pourra-t-il découvrir à temps le secret des mystérieux créateurs du Spin ? Et Tyler, simple être humain plongé par hasard dans un univers plus étrange qu'il ne l'imaginait, saura-t-il résoudre l'énigme qui pèse sur son propre destin ?
A l'âge de huit ans, j'avais découvert dans l'une de mes encyclopédies une carte paléogéographique illustrant la position des terres émergées quelque cinquante millions d'années avant le présent (un peu comme celle-ci, en fait). J'en avais parlé avec mon père en lui faisant remarquer que les gens n'auraient pu passer à pied sec (par exemple) d'Inde en Asie, ce qui avait donné lieu à une conversation dont la teneur, sinon la forme, avait été la suivante :
"Mais personne n'aurait cherché à le faire, de toute façon, m'avait-il dit.
_Pourquoi ?
_Il n'y avait pas de gens sur Terre, à l'époque. C'était avant l'apparition de l'espèce humaine.
_Ah bon ?
_Cinquante millions d'années, ça fait beaucoup, tu sais...
_Mais... quand même, le Moyen-Âge, il a duré longtemps, non ?
De la même façon qu'un enfant de huit ans prend un jour conscience de ce que même la stagnation du Moyen-Âge n'est qu'une éternité de pacotille en regard de l'extrême longueur des temps géologiques (et je ne parlais même pas du Précambrien long de près de quatre milliards d'années !), les personnages de Spin font l'un après l'autre la découverte inverse : l'Univers vieillit autour de la Terre figée derrière un étrange bouclier. Les civilisations humaines, changées en fossiles vivants et vivant dans un temps ralenti à l'extrême, se découvrent tout soudain menacées par un simple lever de Soleil, devenu promesse d'Apocalypse. Le temps n'est pourtant pas l'ennemi des personnages de Spin : une année sur Terre et des centaines de millions d'années ailleurs, cela laisse du temps pour des projets d'envergure. Des projets d'ingénierie planétaire voire même céleste. Contrainte par les "Hypothétiques", les maîtres du Spin, à rester sur Terre dans l'attente du brasier solaire pour nous si lointain, l'espèce humaine rêve pourtant d'espace et entreprend des projets d'une envergure inégalée : on est là dans le sense of wonder le plus débridé.

Mais ce qui intéresse Wilson pour de vrai, c'est bien sûr l'inquiétude lancinante et de moins en moins sourde qui pèse sur le monde. La vraie nature du Spin est, il est vrai, déconcertante, et comme on est chez Wilson, ce qui est intrigant devient vite inquiétant. Comme on est chez Wilson, aussi, le personnage principal apparaît souvent largué par les évènements, un peu promené au fil de découvertes qui n'ont pas beaucoup de sens à son niveau, pas plus qu'ils n'en ont aux yeux du pékin moyen : parce que, malgré la sentence apocalyptique pesant sur le monde à brève échéance, la présence du Spin ne change dans l'absolu pas grand chose : c'est toujours à coups de milliards de dollars que l'on essaie de régler les problèmes, quand ce n'est pas à coups d'armes nucléaires. Alors, cette inquiétude se résout au fur et à mesure par la dégradation du lien social, et par l'émergence de cultes apocalyptiques. On entend parler, de loin en loin au long de ce livre, d'une secte qui essaie de produire un veau rouge annonciateur de la fin des temps. Et puis le récit de Tyler alterne les moments vécus sous le Spin et ceux qui se déroulent "quatre milliards d'années après Jésus-Christ", confirmant que Spin est avant tout un roman questionnant l'énigme du temps.

Dans cette épopée temporelle, où les aller-retours ne distillent presque aucune information quant au contexte (même si l'on entend assez tôt parler de "médicament martien", bien sûr), on en vient à perdre de vue les fameux "Hypothétiques". Le Spin apparaîtrait presque, en fait, comme un prétexte à une histoire de conquête spatiale à marche forcée pendant la majeure partie du roman. Sur la fin, l'un des personnages majeurs acquiert une dimension christique et son sacrifice, d'une certaine façon, rachète le destin de l'espèce humaine toute entière ! Est-ce là une symbolique voulue par l'auteur ? On n'ose y croire... et l'on réfléchit alors aux similitudes troublantes entre Spin et Utriusque Cosmi, nouvelle du même auteur publiée dans le recueil L'O10ssée : on y retrouve en particulier ce même concept de dilatation du temps. Etait-il nécessaire de construire tout un roman autour d'un postulat capable d'alimenter une nouvelle, même satisfaisante par ailleurs ?

Spin n'est pourtant pas mauvais. Son principal défaut est que, roman sur le temps, Spin tombe dans le travers de la nostalgie : alors qu'autour de lui le système solaire plonge à vitesse accélérée vers la séquence finale d'évolution du Soleil, Tyler écoute du jazz des années 60 et se construit autour d'un fantasme d'adolescent. Hmouais... Pendant ce temps, l'ambassadeur martien déniche (dans le chapitre Euphorie désespérée, page 438) un fossile de trilobite vieux de dix millions d'années : aoutch ! Spin se lit sans difficultés, il parvient à éveiller quelques questionnements et ne laisse aucun mauvais goût en bouche, et à ce titre je n'hésiterai pas à en lire les suites : c'est un roman bien foutu, mais pas brillant puisqu'il expédie en quelques pages à la fin sa propre énigme ; c'est un roman agréable, mais pas enthousiasmant puisqu'il ne m'apparaît pas à la hauteur de ses ambitions. Reste à voir si ses suites justifieront a posteriori à mes yeux les prix qu'il a récoltés (Hugo 2006, pour n'en citer qu'un)...

Commentaires

Gromovar a dit…
Malheureux !!!

J'ai un ami, Guillaume Stellaire, qui est le contact de RC Wilson en France. Tout lui sera répété après déformation, comme de juste ;)

Bon, plus sérieusement, je crois qu'il n'est pas nécessaire que tu insistes sur Wilson. Tu as fait bien plus d'effort que la plupart n'en aurait fait. C'est pas ta came. Ca arrive, même aux plus grands.

Quoique, A travers temps...
Anudar a dit…
Trop tard, j'ai déjà commencé "Axis".

J'aurais bien voulu connaître ton point de vue sur mon point de vue. Se tient-il, au moins ?
Efelle a dit…
Si, si lit Axis puis Vortex pour ta pénitence. Des points obscurs seront explicités et une bonne couche de gris est collé à l'ensemble.
Cela dit il y aura toujours un truc qui te gênera à mon avis, toi et Wilson vous n'êtes pas fait pour vous entendre.
Anudar a dit…
Pour ma pénitence ? Roh, là tu m'en veux et du coup je m'en veux :P ...

Hélas et pour être sérieux, je pense que oui, quelque chose ne colle pas et ça doit être fondamental pour que je n'accroche pas à ce livre-là... Sinon, j'en suis à 20 % d'"Axis" et ça se passe bien pour le moment.
Guillmot a dit…
Trop tard, Bob a pris son vol, on te retrouve ce soir à 1h du matin sur le parking de l'hyper près de chez toi. On sera tranquilles pour discuter :D (référence aux Inconnus).
Anudar a dit…
M'en fous, cette nuit, je dors. Et puis de toute façon, après tous les Danseurs-Visages que j'ai dû recevoir après avoir dit du mal de Leto II sur DAR, je pense que je n'ai rien à craindre d'un Bob et de son acolyte nantais, fût-il phycologue et amateur de Warhammer 40k :P ...