Alix Senator tome 1 : Les Aigles de Sang

J'aime bien Les Aventures d'Alix. J'ai découvert le personnage quand j'étais gosse et tout juste sorti de Tintin. De Hergé à Jacques Martin (celui d'Alix, bien sûr, pas l'autre), l'adaptation était plus qu'évidente, ces deux dessinateurs étant réputés pour avoir formalisé la "ligne claire" et avoir collaboré pendant bien des années. Il faut reconnaître que, parfois, le scénario de certains albums d'Alix est loin, bien loin d'être aussi fouillé - voire même aussi cohérent - que ceux des albums de Tintin... Revers (ou avers ?) de la médaille, certains albums d'Alix (et pas que les plus récents) présentent quelques scènes inattendues, qui restituent l'Antiquité romaine dans toute sa trashitude, et surtout de nature à leur interdire d'être ad usum Delphini alors que la série avait - au moins au départ - pour vocation d'être à destination du jeune public.

A la différence de Hergé, Jacques Martin a volontiers laissé les manettes de son (ses) personnages à d'autres dessinateurs et parfois même de son vivant. Le projet Alix Senator a toutefois ceci de particulier qu'il nous montre un Alix âgé, aux cheveux blancs : une forte originalité dans une tradition de BD francobelge où les héros, par définition, ne vieillissent et ne meurent jamais.

Résumé :
Quinze ans après l'ascension d'Auguste à l'imperium, Rome n'est pacifiée qu'en apparence. Les plaies de la longue guerre civile ne sont pas encore toutes refermées alors que le souvenir du divin César est encore dans toutes les mémoires. Alix, devenu sénateur, est un ami proche du premier empereur, et aussi un homme de confiance tout comme il l'a été pour César dans sa jeunesse : c'est pourquoi Auguste lui confie une enquête difficile, qui pourrait bien ébranler son pouvoir. En effet, il se murmure à Rome que Lépide, le Grand Pontife et le dernier concurrent d'Auguste, est mort assassiné, libérant le titre qui manquait à l'empereur pour parachever la succession de César... Alors, quand Agrippa, gendre d'Auguste, est à son tour assassiné sous les yeux des fils d'Alix, et que son assassin n'est autre qu'un aigle aux serres d'or, tout montre qu'un complot menace le pouvoir impérial. A moins que Jupiter lui-même n'ait retiré sa faveur à celui qu'il avait pourtant désigné bien des années plus tôt en la présence d'Alix ?
Dans cet album à la couverture duquel un Alix au visage sévère et creusé par l'âge toise le lecteur, l'intrigue se montre tout à fait à la hauteur de ce que Jacques Martin a pu produire au meilleur de sa période d'activité. On retrouve ici une Rome où la transition de la République vers l'Empire est en train de s'achever : le principat d'Auguste va définir le régime politique, et sa stabilité, pour une longue période. Transition presque achevée mais pas encore terminée : les tumultes de la guerre civile restent prégnants et les personnages en sont restés marqués. Ainsi Alix a-t-il perdu Enak, peut-être égaré avec la belle Cléopâtre dans l'aventure égyptienne de Marc-Antoine. De la fin de sa jeunesse, quelque part entre l'assassinat de César et la bataille d'Actium, il ne reste plus au héros vieilli que ses deux fils, Titus et Khephren, dont le deuxième est en réalité celui d'Enak. De ses états de service et de sa fidélité à César contre Pompée puis - on le devine - à Auguste contre Marc-Antoine, Alix a tiré une légitimité nouvelle, celle de sénateur. Ainsi le barbare a-t-il pu se hisser presque au plus haut du pouvoir politique romain : bel exemple de ce que les lois de l'adoption rendaient alors possible.

Comme souvent, Alix et ses comparses doivent faire face à un mystère confinant au sacré. Pour les fils d'Alix, témoins de l'assassinat d'Agrippa, c'est peut-être le dieu Jupiter qui a fulminé son destin tragique. Mais pour le héros devenu âgé, l'explication doit être plus rationnelle et surtout plus lourde de sens. Bien qu'ami d'Auguste, il n'a aucune illusion quant aux choix politiques de l'empereur - et surtout quand à sa férocité : Rome est encore loin d'être pacifiée... Même si l'enquête en tant que telle est terminée à la fin de l'album, une péripétie s'introduit dans les toutes dernières cases et les auteurs annoncent, sans l'annoncer, une suite égyptienne où l'on découvrira peut-être sur un mode moins allusif le sort d'Enak.

Sans son fidèle compagnon, Alix apparaît en effet bien solitaire et ce n'est pas la présence de ses deux fils qui vient corriger cette impression. Titus et Khephren, âgés sans doute d'une bonne quinzaine d'années, semblent bien loin d'être une réédition du tandem Alix-Enak, tous deux ayant un comportement beaucoup plus juvénile que leurs pères dans les albums de la première série : on sent chez eux les fils de la haute société, habitués au confort matériel et social plutôt qu'à l'incertitude qui caractérise l'histoire personnelle d'Alix. Lequel, plus qu'une figure tutélaire, apparaît comme le véritable héros de cette histoire. Alix est en effet devenu vieux, mais il n'a pas vieilli, et même si ses cheveux sont désormais blancs et ses traits creusés, le personnage n'a en rien perdu sa vigueur et surtout ses principes. L'époque étant différente, pourra-t-il y laisser sa marque ? L'avenir le dira.

Commentaires

XL a dit…
bien bien, j'ai vu l'album en devanture mais j'hésitais... tu m'as convaincue (merci pour ce bel article dans lequel je me retrouve)