Galaxie qui songe

J'ai poursuivi ma relecture du classique de Moebius et Jodorowsky, à savoir la série L'Incal.
Résumé :
Alors que John Difool et ses amis pensaient avoir vaincu la Ténèbre en neutralisant les oeufs d'ombre et en détruisant la planète Techno, ils découvrent avec horreur que l'Impéroratriz lui-même a été contaminé par le "virus tenebrae". Maintenant changé en véritable démon, et surtout en canal pour le plasma ténébreux, le souverain de la Galaxie représente un danger terrifiant qu'il convient de juguler... Sans compter qu'en son absence, le pouvoir doit revenir aux ennemis des coloniaux, c'est-à-dire, aux anciens alliés de la guilde Techno ! Pour l'Incal, il est nécessaire d'aller débusquer le Techno-Centreur là où il se terre, au sein de la station de combat la mieux défendue de tout l'Empire... John Difool acceptera-t-il une fois de plus de se mettre en danger dans une quête qui le dépasse ?
J'avais, dans un précédent billet, mis en évidence la récurrence du thème de la décomposition du corps du héros dans cette série : jusqu'à présent, John Difool a échappé (ou survécu !) au démembrement, à la dissection, aux dents de différents prédateurs et même à la désintégration, certains de ces désagréments se cumulant au cours d'un même album ! Fidèles à cette tradition, les auteurs innovent ici en tapissant le corps de JdF d'un plasma de ténèbres, le changeant d'un seul coup en copie carbone de lui-même, et décuplant - après résurrection - ses instincts libidineux à l'égard de la chère Animah. Il y a sans doute, derrière ce véritable acharnement face à l'intégrité physique du héros, quelque symbole qui m'échappe. Néanmoins, reconnaissons que la séquence où le Techno-Centreur enténèbre John Difool centimètre carré par centimètre carré n'est pas mal construite du tout et que le suspens y fonctionne très bien, l'Incal ne s'échappant du corps du héros - changé en piège - que d'un cheveu.

On voit aussi apparaître, dans cet album, un thème nouveau. Après le passage dans les contrées de centre-Terre, John Difool semblait avoir changé : le héros minable du premier album apparaissait plus digne, plus volontaire, et peut-être plus convaincu dans cette épopée où il apparaît aux côtés de figures légendaires. Cette fois-ci, on observe un genre de retour au "premier" John Difool puisqu'il commence par refuser la mission que l'Incal veut lui confier : le héros redevient un véritable anti-héros, lâche et minable, une involution qui se confirme au terme de l'album où il ne s'intéresse qu'au pillage de la Planète d'Or alors que la Galaxie, autour de lui, s'éteint peu à peu. Involution qui sera de nouveau sanctionnée par un chantage et donc, par une nouvelle aventure...

L'ennemi, dans cet album, est désormais identifié en personne ou presque. Avec la mise au pas des nobles, l'élimination de la guilde Techno et de ses oeufs d'ombre puis, enfin, la destruction de l'Imperoratriz devenu ennemi de l'espèce humaine, il ne reste plus que la Ténèbre, cette entité inquiétante que Solune va rencontrer à la suite de son combat contre le Techno-Centreur. Scènes dantesques au cadrage presque expérimental, évoquant bien le cauchemar vécu par le jeune personnage. Le trait de Moebius dans cette série atteint ici une véritable maturité : on sent qu'il connaît à présent ses personnages et leur environnement mieux qu'eux-mêmes. On en accepte par conséquent d'autant mieux la péripétie finale, qui annonce un épisode peut-être plus terre-à-terre avant l'affrontement qui se profile contre la Ténèbre...

Sans nul doute, un des meilleurs albums de la série, et à juste titre celui qui m'a le plus marqué lorsque j'ai découvert L'Incal pour de vrai à l'âge de douze ans. Merci.

Commentaires

Efelle a dit…
Difool est l'essence du anti-héros.
Anudar a dit…
Sauf quand il endosse le costume de "père du Messie". Là, il devient d'un seul coup beaucoup moins crédible.